mercredi 27 octobre 2010

Nina Berberova : LE MAL NOIR, Actes Sud, 1989


C'est un plaisir renouvelé à chaque lecture des romans de Nina Berberova. Mais dans ce petit récit d'à peine une centaine de pages, elle sait magistralement, dans une sobriété de style incomparable, non seulement poser un décor, raconter une histoire, mais surtout nous faire pénétrer, une fois encore, dans l'âme d'un exilé russe. 

Nous découvrons un homme cherchant à réunir la somme nécessaire à la poursuite de son exil de Paris à Chicago. Il essaye de revendre une paire de boucle d'oreilles en diamant, mais malheureusement, l'une des pierres a "le mal noir" et elle ne vaut donc rien. 

"Je retournai au mont-de-piété. Ce lieu sordide grouillait de monde. On me donna un numéro – le soixante-quatre – et je m'assis entre une femme qui tenait sur ses genoux une vieille couverture, et qui apparemment ne savait plus où aller, et un homme plus très jeune, vêtu correctement, qui ressemblait à Nicolas II. Il avait apporté un éventail en écaille. Je pensai alors qu'il n'y avait pas de pire endroit au monde." 

Il parviendra à rejoindre Chicago, après un passage à New York. 

Un peu comme une valse lente, en trois temps, en trois étapes, Nina Berberova dresse également le portrait de trois femmes qui ont compté pour lui. Tout est fait en finesse, les sentiments sont suggérés, effleurés et pourtant extrêmement forts. 

"- Pourquoi vous taisez-vous, dites quelque chose, reprit-elle. Vous avez été marié, heureux. Vous n'avez rien d'autre à dire, vous l'homme heureux ? 
Ce mot résonna comme s'il n'avait aucun sens. Le r craqua telle une feuille d'automne qu'on a froissée, réduite en poussière, jetée au vent. Je ne pouvais rien répondre : mes pensées d'antan, mes pesantes réflexions sur moi-même revenaient en force, et avec elles, mon incapacité à oublier et à accepter, à changer intérieurement, à devenir fort, c'était la terrible fêlure qui vivait en moi depuis des millions d'années." 

Si rien de ce que vit cet homme n'est gai, si tout le roman est baigné de mélancolie, il s'en dégage une grande force et la nécessité de se battre, quoi qu'il arrive. 

"Je vais vivre pour voir ce que ça donne. Puisque même les morts ressuscitent parfois, alors pourquoi pas moi, qui suis vivant ? Mais pour cela il fallait faire quelque chose, prendre des décisions, bouger, s'adapter, inventer des villes, des personnages, des histoires sa propre vie enfin, participer emboîter le pas, tenter à tout prix de ressembler aux autres, bref, faire comme si tout allait bien. Et vite, sinon je me transformerais en fossile."

2 commentaires:

  1. Je vais me l'acheter de suite ! Je ne le connais pas, alors que j'adore cette auteur ! Son écriture est ciselée, directe et pourtant les histoires coulent ... Merci de nous l'avoir signalé !

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  2. @Gine : "le mal noir" fait partie des "Récits d'exil". Peut-être l'as-tu déjà dans ta bibliothèque ?

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