mercredi 22 août 2012

Vassilis Alexakis : LE PREMIER MOT, Gallimard, 2010



Dans ce roman, Vassilis Alexakis renoue avec sa passion des mots, de la langue et de la communication entre les êtres. 

Peu avant de mourir, Miltiatis, Professeur  à la Sorbonne d'origine grecque, confie à sa soeur son regret : il n'a pas encore découvert, quel a été le premier mot prononcé par l'humanité. 

Celle-ci, se met en devoir de le trouver et n'aura de cesse, de questionner ses anciens amis, éminents chercheurs ou simples quidams. Et l'on assiste alors à un florilège, assez érudit il faut le dire, d'hypothèses vraisemblables ou fantasques que l'on peut émettre, au vu des connaissances actuelles de la science, qu'elle soit anthropologique, psychologique, neurologique et j'en passe. Cela peut vous sembler rébarbatif, mais bien au contraire, l'humour n'y manque pas. 

Mais, et c'est là la force d'Alexakis, il n'oublie à aucun moment le fait qu'il écrit d'abord un roman. Et c'est un roman à la gloire de l'amour qui peut lier un frère et une soeur, amour fait de complicité, d'admiration respective, et de souvenirs remontant à l'enfance. Un lien si fort que, malgré la mort, le dialogue se poursuit, comme si Miltiadis vivait encore.

"...J'ai décidé de jeter un premier coup d'oeil aux tiroirs du bureau. J'ai commencé par celui du milieu.
- Il faut bien que quelqu'un fasse ce travail, n'est-ce pas ?
- C'est vrai, a admis mon frère.
Mais l'instant d'après, je l'ai entendu maugréer :
- Les morts n'ont droit à aucune intimité
- Je m'arrête, si tu veux, lui ai-je proposé.
J'étais en train de feuilleter plutôt distraitement son agenda, qui m'a rappelé son amour pour le football et pour l'opéra. Il avait vu le match France-Argentine chez son ami François, le libraire, et l'Elixir d'amour de Donizetti à l'Opéra Garnier.
- Non, non, a-t-il dit, tu peux continuer".

Parallèlement à sa quête du premier mot, sa soeur sent le besoin d'écrire et plus précisément de raconter les trois jours qu'elle a passés avec son frère, une semaine avant qu'il ne meure. Et là aussi on retrouve un des caractères d'Alexakis, cette capacité qu'il a de nous parler de son "métier" et de la réflexion qui l'accompagne tout au long du travail d'écriture :

"Je n'arrive pas à réfléchir quand je n'écris pas. Je m'assieds sur le canapé, je ferme les yeux et je me dis : "Je vais réfléchir à présent." Mais au bout d'une heure, force m'est de constater que je n'ai pensé à rien. Le crayon que je tiens m'aide à me concentrer, à me vouer à un sujet.
(...) Depuis quelques temps, j'éprouve le besoin de confier à quelqu'un que j'écris un texte sur mon frère. Ce récit, je l'ai déjà noté, a pris une importance considérable pour moi, il ne me tient pas seulement compagnie, il est devenu ma nouvelle adresse. Je n'en ai rien dit à Aliki car je suis sûre qu'elle voudrait le lire, mais j'en ai parlé à Bouvier.
- Vous avez raison d'écrire, m'a-t-il dit. Les mots comprennent mieux nos peines que nos joies. Ils ont quelque chose de mélancolique, vous ne trouvez pas ?"

Un roman intéressant, donc, aux personnages attachants qu'on ne lit pas forcément d'une traite, mais qui nous tient en haleine.

2 commentaires:

  1. C'est très fort, cette phrase : "les morts n'ont droit à aucune intimité" !
    Une pensée que je n'avais jamais eue et qui pourtant est si vraie...
    Très belle journée, Amartia !

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  2. J'ai beaucoup aimé ce livre, et j'aime cet auteur, livre après livre. Sous couvert de facilité à lire, et de sa facilité à écrire, la réflexion est souvent plus profonde qu'il n'y paraît de prime abord.

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